Les flammes d'une horreur humaine et médiatique
L’évènement
est horrible. L’histoire, tragique. La nouvelle, brutale. Une maison en feu, 7 enfants
syriens brûlés, perdus, arrachés à la vie. Une famille déchirée par la flamme. En
fuyant la Syrie, cette famille avait beau avoir réussi à échapper à l’horreur,
celle-ci réussi à les frapper au cœur même de leur nouvelle vie, de leur nouvel
espoir. Malgré tout, un autre feu brûle, et une autre horreur se propage. Les
réseaux sociaux sont son foyer, la xénophobie ordinaire, son combustible. Eric
St-Germain qui écrit : « 7 de moins ». Jhonny Maddog, « J’aurais
pas fait mieux. Bon débarras ». Labine Johanne, « désolée pour les enfants, mais bien écoeurée de payer pour eux, moi ». Je leur ai rendu le service de la
correction syntaxique. TVA a retiré l’article depuis, jugeant que certains des
commentaires étaient « inacceptables », ce qu’ils sont.
D’une
certaine manière, c’est rassurant : finalement,
en retirant cet article et les commentaires qu’il produisait, voire sécrétait,
TVA reconnait qu’il y a quelque chose comme de l’inacceptable. Cette rassurance
cependant est très vite noyée et effacée, cependant : il aura fallu qu’on
s’attaque aux cadavres brûlés de sept enfants pour que TVA se rende compte qu’il
y a, en effet, de l’inacceptable. Il
faudrait certes les applaudir pour ce petit service d’assainissement de la
sphère publique, de cette auto-censure
après les faits, et de cette censure
de l’opinion. N’ayons pas peur des mots. Il y a, ici, l’exemple d’une bonne censure. Cet applaudissement devrait cependant être placé dans le contexte
d’une correction et d’une invective sévères. Certes, ils ont retiré l’article
et les commentaires, mais sans cesse depuis plus de dix, ils ont alimenté et légitimé
les passions tristes, violentes et haineuses. Regardons la chose avec un
minimum de sagesse sociologique : ces commentaires et ces individus s’inscrivent
dans une logique sociale déterminée qui favorise ce type de comportements, d’actions,
et de croyances.
Peut-être
est-il temps que les médias en général se posent un certain nombre de
questions. Par rapport à leur rôle. Au-delà la plainte pathétique et évidente qu’ils
sont un des piliers de notre démocratie, peut-être faut-il qu’ils commencent à
regarder le type de fruits qu’ils produisent. Par rapport aussi aux nouvelles
plateformes sur lesquelles ils opèrent avec autant d’aisance et de compétence
qu’un apprenti sorcier. Est-il, par exemple, nécessaire d’inclure une section
de commentaires sous leurs articles? Quelle est exactement l’utilité, voire l’objectif
d’une telle section? Remplit-elle le rôle et la fonction qu’on souhaite? À
prime abord, l’idée, j’imagine, est que cette section doit servir de petit
espace de discussion, d’échanges, de réactions, et d’opinions. L’idée est de
permettre l’établissement d’une conversation sur des nouvelles qui sont
importantes pour notre vie collective. L’horizon est social, la visée,
politique.
Je
dis « les médias en général »,
car, bien sûr, TVA n’est qu’une pièce du casse-tête. L’usage que font les
médias en général des médias sociaux,
il faut s’en rendre compte, participe à la prolifération et à la normalisation
d’attitudes asociales. Ce qui s’exprimait alors dans le privé, dans l’intimité
de sa propre bêtise, se voit désormais promu, circulant d’un écran à l’autre.
Une réaction en chaîne, une multiplication de conneries solidaires l’une l’autre
dans l’œil médiatique. L’idéal démocratique, ainsi que l’idéal espace de discussion
publique, peuvent difficilement être promus, alimentés, et construits, si les
lieux ordinaires et normalisés de cette discussion se font dans un cadre privé
(propriété de Mark Zuckerberg, par exemple) et privatisé. Privatisé dans la
mesure où, dans ces espaces de discussion, nous mobilisons des habitudes de
discussion, des réflexes, des réactions, qui normalement se faisaient en privé,
afin d’intervenir sur l’espace publique.
De
quoi aurait l’air une page Facebook, disons celle du Devoir sur laquelle, oui, se succéderaient articles et nouvelles,
mais sur laquelle, cependant, il n’y aurait pas de commentaires. Une page sur
laquelle, il n’y aurait pas ces manifestations grotesques et sauvages d’escalades
de commentaires, alimentés par le plaisir du Like. Certes, l’option de « partager » une nouvelle sur
son mur avec le commentaire, l’invective, le mot, qu’il soit gros ou beau, cette option existerait toujours. Mais au moins, en
transférant cet article, de la sphère médiatique de la diffusion de nouvelles à
la sphère privée du mur personnel (« c’est ma page à moi! »),
il y aurait la reconnaissance, au mois implicite et inconsciente, sinon
explicite et assumée, que dans cette sphère médiatique et publique, que chez nous, on ne peut pas et on ne
devrait pas faire comme chez soi.
Mais
une dernière question que pourrait se poser les médias en général. Qu’est-ce qui constitue une nouvelle? Qu’est-ce qui en fait son importance, sa pertinence? Il
faudra que les médias se rendent compte de toute l’ampleur de leur
responsabilité politique et sociale de notre climat actuel. Ce sont eux qui construisent les nouvelles. Ce
sont eux qui assemblent ces nouvelles
en phénomènes sociaux. Ce sont eux qui choisissent de penser qu’il est
important que quelques centaines de milliers de Québécois soient informés qu’il y a eu un incendie à
Halifax et que sept personnes y ont perdu la vie et que ces sept personnes
étaient des enfants et que ces enfants étaient syriens. Un climat, ça se
construit, méticuleusement, patiemment, au fil des actualités. Il faudra que
les médias se rendent compte qu’ils constituent non seulement un contre-pouvoir,
pour emprunter au langage de la science politique; ils sont également un pouvoir social d’ampleur climatique. Or, socialement, le climat
ne se réchauffe pas, il se dégrade.
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